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Affichage des articles du janvier, 2018

L'île de Luna

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Edgar Morin (2017), L'île de Luna, Paris, Actes Sud, 180 p. J'ai lu (presque) tout Edgar Morin, ce qui est en soi un exploit, considérant la richesse et la complexité de l'oeuvre. Je ne pouvais passer outre son seul ouvrage de fiction, un roman écrit il y a 70 ans et resté depuis dans un tiroir. Au moment où Morin travaille sur L'Homme et la mort (1951), une anthropologie de la mort, il ose un roman largement autobiographique racontant l'histoire d'un kid de 9 ans, Albert Mercier, qui vit (ou plutôt refuse de vivre) le deuil de sa mère Luna. Cette mort lui est révélée à travers les mensonges ("elle est partie en cure à Vittel") et les non-dits (on évite de prononcer les mots "morts" et "funérailles", mais on exige de l'enfant le port du brassard noir et une visite au cimetière). La toile d'Arnold Böcklin, L'île des morts (1880), a valeur de symbole dans ce roman. À travers ses journaux intimes et ses ouvrages q

Reconnaître le fascisme

Unberto Eco (2017). Reconnaître le fascisme, Paris, Grasset, 52 p.   Umberto Eco (1932-2016) est un érudit et un humaniste italien dont l’œuvre se décline par des essais remarquables ( Histoire de la laideur, Histoire de la beauté ) et des romans fascinants ( Le nom de la rose, Le pendule de Foucault ). L’homme est mort l’an dernier, mais les librairies nous font le cadeau depuis, en édition ou en réédition, de quelques-uns de ses ouvrages. Son dernier roman, Numéro Zéro (Grasset, 2015), est intéressant sans pour autant être un grand livre comme ses précédents. Comment écrire sa thèse (Flammarion, 2016) propose aux personnes concernées de vivre la thèse comme une chasse au trésor, alors il est possible de la compléter sans devenir complètement fou. Reconnaître le fascisme (Grasset, 2017) est un tout petit livre exceptionnel de 52 pages, construit autour d’un discours qu’il a prononcé en 1995, mais qui demeure d’actualité, considérant la résurgence du phénomène. Il y dé

Un peu de silence en cette ère si bruyante

Erling Kagge (2017). Un peu de silence en cette ère si bruyante, Montréal, Guy Saint-Jean, 141 p. Le livre me fait un clin d'oeil sur le présentoir de la librairie. Qu'est-ce que le silence, où se trouve-t-il et pourquoi est-il important? Un aventurier norvégien répond à ces questions en 33 courts essais. Récit intime qui n'est pas sans intérêt, bien qu'assez peu documenté. Ce n'était pas le but, me répondrait-il. "Regarder une autre personne droit dans les yeux pendant quatre minutes de silence a été l'une de mes expériences les plus excitantes de ma vie" (p. 123).

C'était mieux avant

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Michel Serres (2017). C'était mieux avant , Paris, Le Pommier, 95 p. Suite de Petite Poucette , un manifeste technoprophétique qui couvre d'éloges les jeunes de la nouvelle génération qui maîtrisent la technologie grâce au jeu de leurs pouces sur le clavier du téléphone portable. Cette fois, Michel Serres s'en prend aux vieux râleurs qui prétendent que c'était mieux avant. Avant, prétend-il, c'était plutôt le règne d'Hitler et de Staline, des guerres et des crimes d'État qui ont fait des millions de morts. Il peut témoigner que ce n'était pas mieux avant puisqu'il y était! Et ce clin d'oeil à l'accent québécois: "À une soutenance de thèse en Sorbonne, j'ai entendu des membres du jury faire rire l'assistance en l'impétrant, au demeurant expert mondial en sa matière, pour sa québécoise voix. Ce savant canadien, ces  maîtres parisiens le traitaient d'Indien de la plaine." (p. 70).

Politiques de l'extrême centre

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Alain Denault (2016). Politiques de l'extrême centre, Montréal, Lux, 93 p. La thèse est complémentaire à celle de son ouvrage sur La médiocratie : économie réduite à la finance, un État social qu s'écroule et une perte des repères philosophiques. À gauche comme à droite, la médiocrité se déploie et se rejoint à un extrême centre insignifiant, sans sens. Mais que faire? Personne ne trouve grâce aux yeux de l'auteur (comme si tout le monde faisait partie des médiocres, sous prétexte qu'ils s'adaptent aux institutions). Sa solution consiste à se radicaliser (mais une société constituée essentiellement d'éléments radicaux est-elle viable?).

Un homme qui dort

Georges Perec (1967). Un homme qui dort , Paris, Denoël, 144 p. Pas très jojo comme lecture du Nouvel An, mais néanmoins intéressante. Nihilisme et indifférence absolus. Un homme qui ne sait pas vivre et qui ne le saura jamais. C'est l'histoire d'un étudiant de 25 ans qui décide de ne pas se présenter à son examen de licence (il étudie Aron). Il erre dans les rues de Paris et végète dans sa minuscule chambre de bonne. Le roman est écrit à la deuxième personne, au "tu", ce qui annonce le Perec oulipien. On en a fait un film qui traduit bien l'essence du livre.

Marcher, une philosophie

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Frédéric Gros (2011). Marcher, une philosophie , Paris, Flammarion, collection Champs Essais, 312 p. Il est ici question de méditations philosophiques autour du thème de la marche. L'ouvrage , signé par un philosophe spécialiste de Foucault, est agencé par thèmes (libertés, lenteur, éternités...), mais aussi autour de philosophes qui ont fait de la marche une manière de penser, voire de vivre: Nietzsche, Rimbaud, Rousseau, Kant... L'errance mélancolique de Nerval est troublante: il a erré dans Paris jusqu'à un cul-de-sac, lieu de son suicide. "Peut-être, quand tout sera détruit, disparue la civilisation après un cataclysme majeur, sur les ruines fumantes d'une humanité engloutie, qu'il ne restera plus alors qu'à marcher" (p. 297).