Hommage posthume à Florence Piron - colloque Une autre science est possible - 5 mai 2021


 Chers amis,

C’est un privilège pour moi que de vous adresser ce matin ces quelques mots, inspirés par l’œuvre et par la personne de Florence.

J’ai fait l’exercice de rechercher dans ma mémoire la première fois que j’ai rencontré Florence, mais je n’y suis pas parvenu. Ça fait une douzaine d’années de cela, mais j’ai l’impression de l’avoir toujours connue.

J’étais déjà professeur à l’Université du Québec à Rimouski, donc c’est après 2007. J’étais à l’époque, et je le suis toujours, un militant du libre accès aux connaissances scientifiques. C’est sans doute dans ce contexte que nos chemins se sont croisés, probablement à l’Université Laval.

La plus ancienne collaboration formalisée que j’ai retrouvée dans les archives de mes courriels est un projet de recherche de 2010 soutenu financièrement par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et réalisé en collaboration avec l’Institut du Nouveau Monde. Il portait sur la création et la mise à l’épreuve d’un dispositif multimédia de délibération collective adapté aux situations de consultation publique sur les enjeux scientifiques.

Déjà, on observe dans ce projet les intérêts de Florence: la délibération collective; les enjeux scientifiques; et les dispositifs techniques qui favorisent le partage et le dialogue.

Au même moment, elle m’invitait à écrire un article pour la revue Éthique publique dont elle coordonnait le numéro thématique portant sur la responsabilité sociale des chercheurs. On est toujours en 2010.

C’est à compter de 2011 que se dessine ce qui deviendra l’Association science et bien commun. Mes souvenirs ne sont pas aussi précis que ne le sont mes archives courriels et le site Wikipédia, qui précise que le noyau fondateur de l’Association est formé d’une dizaine de chercheurs et de doctorants du Québec et de France réunis au colloque Une autre science est possible dans le cadre du Congrès de l'ACFAS en mai 2011.

Les Congrès de l’ACFAS, chaque année depuis, ont été un vecteur important de maillage et de réseautage entre personnes préoccupées par la science et le bien commun.

Par la suite, quatre personnes ont mené les démarches d'institutionnalisation de l’Association, toujours selon le site Wikipédia: Florence, moi, Mélissa Lieutenant-Gosselin, doctorante de l’Université Laval, et Hugo Pollender de l’équipe de recherche du C3S de la Vieille-Capitale.

La mission de l’Association jusqu'en 2019 était de stimuler la vigilance et l’action pour une science ouverte, au service du bien commun. Une vigilance face aux conséquences du modèle de l’économie du savoir privilégié par les politiques scientifiques des gouvernements provincial et fédéral. Et une action visant à démocratiser le débat sur les orientations de la science publique québécoise.

À cette fin, l’Association s’est employée à défendre une vision des sciences au service du bien commun; à produire et à diffuser de l’information sur la science et sur ses rapports avec la société; à organiser des expériences de démocratisation des sciences; et à offrir un service d’orientation des groupes de la société civile dans le monde universitaire.

Nous n’étions qu’un tout petit noyau de personnes, et pourtant la place de l’Association dans l’espace public était très importante.

Puis il y a eu cette collaboration en 2017 qui m’a permis de travailler avec un des membres de l’exécutif de l’Association Science et bien commun, Judicaël Alladatin, dans le contexte d’un postdoctorat fait à l’UQAR. En quelques heures seulement et en grande urgence, Florence a piloté le dossier du candidat et elle a établi les contacts qui ont fait en sorte qu’il obtienne une bourse du Fonds de recherche Société et culture du Québec, ce qui lui a permis finalement d’obtenir un poste de professeur d’université.

J’étais aussi à l’époque collaborateur du projet Comment transformer les universités postcoloniales en outils de développement local durable: la contribution des boutiques des sciences, financé par le Conseil de recherches en science humaines du Canada avec 277,000 $ pour cinq ans. Le 1er avril 2017, Florence adressait aux collaborateurs du projet ce très beau message:

Vous avez accepté en septembre dernier d’en être collaborateurs et collaboratrices en remplissant un formulaire un peu compliqué. Et bien vous avez eu raison de croire en moi! Plusieurs d’entre vous le faites depuis très longtemps et je suis d’autant plus heureuse de vous annoncer cette nouvelle.

Permettez-moi un petit moment d'autosatisfaction, mes amis. Je suis une mère, intellectuelle critique, féministe de gauche, engagée politiquement et dans la société civile avec ma chère Association science et bien commun, qui dit toujours ce qu’elle pense, qui est toujours en retard dans ses articles, qui se fout du facteur d’impact et qui rejette le cadre normatif dominant de la science positiviste, qui croit depuis 10 ans aux boutiques des sciences et qui y travaille avec énergie malgré les conseils de collègues qui me disaient au contraire de me concentrer sur mes articles et d’oublier ces petits projets engagés, à peine rafraichissants. Trump est au pouvoir et ses petits copains aussi. Et voilà que, malgré ces obstacles, le système accepte de me donner de l'argent pour que j’aille encore plus loin.

Ce sont ses mots à elle, enthousiastes, authentiques et engagés. Et je m’adresse à elle, en guise de conclusion: Florence, femme remarquable et intellectuelle engagée, humaniste dans le sens le plus noble du terme, tu as contribué par ton action à changer le monde et la vie des personnes que tu as côtoyées. Le monde était ton horizon et l’amour, ton carburant. Que ton œuvre puisse se poursuivre grâce à toutes les amitiés que tu as semées sur ton parcours, partout dans le monde.

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