Les déclinaisons de la Nouvelle gestion publique (NGP) dans les universités québécoises

Une petite synthèse de ma communication du 6 mai 2021 au colloque "Regards multidisciplinaires sur le travail des professeures et professeurs d'université" dans le cadre du Congrès de l'ACFAS. 

La Nouvelle gestion publique n’est pas une pratique de gestion prescrite explicitement dans les universités québécoises, mais son influence y est manifeste. Sa culture est omniprésente et elle conditionne la manière dont les universités sont maintenant gérées. Cependant, la Nouvelle gestion publique n’est pas adaptée à l’institution universitaire pensée comme une université de service public. C’est l’idée que je vais vous présenter en dix minutes, top chrono.

L’université de service public est une conception qui inspire ce que doit être cette institution. Cette conception, et d’autres que celle-là, se traduisent dans les idées d’université, un terme utilisé pour regrouper autour d’un même espace de sens les principes (c’est-à-dire le pourquoi) et les modalités (soit le comment) qui caractérisent l’université dans un temps et un espace.

Les conceptions d’universités sont nombreuses, mais elles s’inspirent toutes de quelques grandes idées d’université, entre autres le modèle anglais caractérisé par l’éducation libérale ; le modèle allemand, caractérisé par la combinaison de l’enseignement et de la recherche et la division de l’université en facultés ; et le modèle américain, hybride des modèles anglais et allemand, mais qui les transgresse au chapitre de l’utilitarisme.

Le modèle américain est utilitariste et les deux premiers ne le sont pas. Le modèle américain caractérise les universités dites de classe mondiale, qui agissent dans un environnement concurrentiel conditionné par les règles d’un marché de l’enseignement supérieur.

L’idée de l’université de service public est évoquée en premier par Whitehead en 1929. C’est une idée caractérisée par un modèle utilitariste de l’université, mais un utilitarisme orienté vers le bien commun plutôt que vers les intérêts particuliers.

Selon Whitehead, l’université est partie prenante de la société et elle est source de progrès. Il est légitime que la formation et la recherche soient socialement utiles. La culture générale et la science doivent aller à la rencontre de la société. Il faut que la théorie rejoigne la pratique. Trois types de professeurs coexistent dans l’université de service public : les érudits, les découvreurs et les inventeurs.

Cette conception de l’université de service public rejoint plusieurs personnes lors du Sommet sur l’Enseignement supérieur de 2013, mais le Québec ne dispose pas d’une politique des universités explicite de sa mission. En l’absence d’une telle politique s’impose alors le modèle de l’université entrepreneuriale, une adaptation institutionnelle à un environnement marqué par l’économie du savoir et les politiques de l’innovation.

L’innovation est d’ailleurs un buzzword, un vecteur de la novlangue managériale, une injonction paradoxale puisque le concept impose de faire les choses différemment, mais dans un contexte où la doxa néolibérale commande l’uniformisation des pratiques. On observe dans les universités occidentales les traits de cette culture entrepreneuriale. L’agilité stratégique remplace la planification stratégique : il s’agit d’une adaptation proactive aux contraintes du marché de l’enseignement supérieur et de la réputation universitaire.

La Nouvelle gestion publique est un mode de gestion qui remplace graduellement le mode bureaucratique. Le mode bureaucratique s’inspire des règles de droit. Le mode managérial établit plutôt une distinction entre le politique et l’administratif. La première expression de la Nouvelle gestion publique en réaction au mode bureaucratique s’observe en Grande-Bretagne et aux États-Unis dans les années 1980 avant de s’imposer ailleurs dans le monde. Parmi les principes qui caractérisent la Nouvelle gestion publique figure l’attention portée aux processus avec l’adoption de méthodes inspirées du secteur privé. Plusieurs chercheurs observent les dérives de ce mode de gestion, dès qu’il a commencé à se déployer.

Parmi les fonctions de la Nouvelle gestion publique se dessinent la planification stratégique, la gestion axée sur les résultats, la reddition de comptes, la contractualisation et l’externalisation de services. Il est possible de distinguer quatre types de fonctions de la Nouvelle gestion publique : les fonctions stratégique, financière, marketing et ressources humaines.

Considérant la fonction stratégique, la planification à l’université existe avant l’instauration de la Nouvelle gestion publique, mais elle est d’abord informelle et fragmentaire. Elle est inspirée des principes d’une planification traditionnelle (plutôt que stratégique) qui s’inscrit dans environnement stable (plutôt que changeant).

Le nouveau référentiel de gestion consacre la généralisation de la planification stratégique à l’université, voire l’obligation pour les universités de se doter de plans stratégiques pour avoir accès à des ressources : c’est le cas avec certains programmes de financement public de la recherche qui imposent d’inscrire le projet concerné dans le contexte des choix stratégiques de l’établissement.

L’évaluation périodique des programmes, imposée à toutes les universités québécoises depuis le début des années 1990, commande aussi de considérer la pertinence institutionnelle lors de la création et de l’évaluation des programmes. Afin de monitorer la mise en œuvre des projets institutionnels et l’atteinte des cibles, des tableaux de bord de gestion et des indicateurs de performance sont créés, cela conformément aux modalités de la gestion axée sur les résultats. La contractualisation et l’externalisation de services et activités sont nombreux (services alimentaires, de sécurité, de conciergerie et d’entretien) et concernent aussi le cœur du métier, soit les activités de formation avec la contribution de plus en plus importante des personnes chargées de cours et les activités de recherche avec le recours accru à du personnel professionnel et technique condamné à la précarité. L’évaluation des activités universitaires (de formation, de recherche et de service à la collectivité) s’est généralisée et elle est balisée par des normes d’assurance-qualité, un concept dévoyé et inféodé à la logique de l’université entrepreneuriale. L’utilisation des technologies de l’information à l’interne comme outils de gestion et de communication est généralisée dans les universités québécoises, avec des plateformes comme Moodle par exemple.

Considérant la fonction financière, les universités adhèrent aux modalités de la comptabilité analytique pratiquée dans les entreprises privées, qui remplace la comptabilité financière traditionnelle. La comptabilité analytique permet de définir les coûts des produits et de mesurer l’écart entre ces coûts et ce que rapportent ces produits. Par exemple, l’exercice de rationalisation des activités d’enseignement pratiquée au terme de la période de préinscription est fondé sur la comparaison entre ce que rapporte en termes financiers le nombre d’inscrits à cette activité et ce qu’il en coûte pour l’offrir. Les activités qui coûtent plus cher que ce qu’elles ne rapportent sont sacrifiées sur l’autel de la rationalisation. Cependant, de nombreux spécialistes croient que cette technique est adaptée au contexte industriel stable et prévisible du XXe siècle et qu’elle ne l’est pas au contexte d’une organisation complexe comme l’université, considérant la présence de clivages internes et de demandes contradictoires. L’obligation d’équilibre budgétaire des universités est prescrite par le gouvernement, principal pourvoyeur, et certaines de ses subventions sont conditionnelles à l’équilibre budgétaire.

En ce qui a trait à la fonction marketing, les dernières années mettent en évidence la concurrence accrue entre les universités pour le recrutement d’étudiants, en raison du financement basé sur les effectifs. Les stratégies publicitaires des universités se déploient dans ce contexte et elles empruntent la forme des publicités de vente de produits commerciaux. L’utilisation des technologies à l’externe, qui mise dans un premier temps sur la formule Web conventionnelle, se transforme graduellement pour adhérer au principe de l’interactivité et du multiplateforme avec notamment l’utilisation des médias sociaux pour promouvoir l’université, sa réputation et son image.

Finalement, quant à la fonction ressources humaines, un déficit du nombre de professeurs et d’autres employés est observé en raison des compressions budgétaires. La Fédération québécoise des professeurs d’université soutient qu’il faudrait embaucher plus de 2000 nouveaux professeurs pour rattraper la moyenne canadienne, et un nombre équivalent de postes en soutien à leurs activités d’enseignement et de recherche. L’individualisation des rémunérations et des avantages n’est pas généralisée, considérant les conventions collectives, mais certains professeurs disposent d’avantages hors-conventions en raison des octrois qu’ils obtiennent et de leurs activités de consultation.

Bref, la Nouvelle gestion publique n’est pas adaptée à l’institution universitaire pensée comme une université de service public, bien qu’elle caractérise les principes et les modalités de gestion universitaire.

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