Science et excellence sous le prisme réducteur d’un Institut national d’excellence en éducation

Le projet de loi 23 attribue au ministre de l’Éducation des pouvoirs démesurés et confie à un Institut national d’excellence en éducation (INEÉ), promoteur d’une vision réductrice de la science et de l’excellence, des rôles dévolus à deux instances démocratiques et efficaces: le Conseil supérieur de l’éducation (CSÉ) et le Comité d’agrément des programmes de formation à l’enseignement (CAPFE).

L’INEÉ aurait pour fonction de conseiller le ministre sur toute question relative à l’éducation; de proposer des méthodes afin de dresser une synthèse des connaissances scientifiques; d’identifier les meilleures pratiques et d’élaborer des recommandations; de formuler un avis sur la définition des compétences attendues des enseignants et enseignantes; de formuler un avis sur les programmes de formation à l’enseignement.

Le CSÉ, démantelé dans cette opération, est une véritable institution créée au même moment que le ministère de l’Éducation en 1964. Il est considéré comme la conscience de l’éducation au Québec, porteur de l’idéal d’un système scolaire accessible, démocratique et d’une vision humaniste de l’éducation. Une centaine de personnes œuvrent bénévolement au sein de ses commissions. Pour produire ses avis, le CSÉ utilise une méthodologie à la jonction des savoirs savants issus de la recherche et des savoirs d’expérience liés à la pratique, enrichis grâce à des consultations et discutés en commission. Ses avis sont cités dans des études rigoureuses sur différents enjeux de l’éducation. Certains avis indisposent les ministres de l’Éducation (celui démontrant l’école à trois vitesses, notamment), mais tous et toutes, jusqu’à aujourd’hui, ont eu la sagesse de reconnaître la contribution du CSÉ.

Le CAPFE, créé en 1992, serait aboli. Il a pour mission d’agréer les programmes de formation à l'enseignement; de recommander au ministre les programmes qui permettent l'obtention du brevet d’enseignement; de donner son avis sur les compétences attendues des enseignants et enseignantes. Composé de personnes expertes qui œuvrent bénévolement, il réalise ses travaux avec rigueur et compétence. Jusqu’en 2021, les ministres de l’Éducation avaient tous et toutes respecté l’autonomie des processus d’agrément du CAPFE.

Alors pourquoi cette volonté de confier les mandats du CSÉ et du CAPFE à l’INEÉ?

L’éducation est un phénomène complexe, c’est-à-dire caractérisé par le multiple et l’incertain. Ceux et celles qui prétendent détenir LA recette pour assurer la réussite scolaire, qui cherchent à l’imposer via des formations qualifiantes écourtées et orientées vers leur seule «vision du monde», qui souhaitent monopoliser les activités de formation continue des enseignants et enseignantes et les orienter en fonction de cette seule «vision du monde», sont dans l’erreur. La juste voie est la prise en compte de plusieurs voix, et de considérer les contextes associés à l’activité éducative. Les enseignants et enseignantes expérimentés, capables d’un retour réflexif sur leurs pratiques, peuvent témoigner de la complexité de la tâche et de la pertinence de recourir à des stratégies diverses et contrastées pour assurer la réussite scolaire et renforcer la motivation des élèves. D’autres facteurs que ceux liés exclusivement à l’effet-enseignant sont déterminants pour la réussite scolaire.

Les promoteurs de l’INEÉ, un petit groupe de personnes, ont eu l’occasion de présenter leur argumentaire dans des rapports publics ou confidentiels (mais disponibles grâce à la loi d’accès à l’information), dans des lettres ouvertes ou sur les réseaux sociaux. Leur conception de ce qu’est la science est réductrice à une épistémologie néopositiviste, certes pertinente dans l’espace scientifique, mais non exclusive pour définir ce qu’est la science. Le néopositivisme se caractérise notamment par un intérêt marqué pour l’analyse technique des problèmes. Leur conception de ce qu’est l’excellence est inféodée à la pensée managériale de la Nouvelle gestion publique (NGP), inspirée de la gestion des affaires, dont une des dimensions est la Gestion axée sur les résultats (GAR).

Je ne suis pas contre la science ou l’excellence, au contraire. Je suis par ailleurs contre une définition réductrice de ces concepts alors que néopositivisme et GAR sont érigés en dogmes, bien que de nombreuses études mettent en évidence les effets pervers d’une analyse essentiellement positiviste des phénomènes, ou les effets pervers de la GAR alors qu’il est possible de moduler les résultats en fonction des cibles (et vice-versa). Ce n’est pas de données probantes dont il faudrait parler, mais de données éclairantes, pertinentes à la prise de décision et à l’adoption de stratégies concourant à la réussite et au mieux-être des élèves. On ne peut se contenter des seules données mesurables et quantifiables, décontextualisées.

Les avis du CSÉ et du CAPFE sont éclairants. Le fait que le ministre disqualifie le constat de l’école à trois vitesses en argumentant qu’il est fondé sur un biais idéologique (ou conceptuel) n’augure rien de bon pour les travaux de l’INEÉ. N’est probant que ce que le ministre juge probant? Est idéologique tout le reste? Et pourquoi, finalement, détruire des instances démocratiques et efficaces comme le CSÉ et le CAPFE?

Jean Bernatchez

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