L'idée de souveraineté du Québec depuis 1995

Article paru dans Le Mouton noir de septembre-octobre 2015

Le 30 octobre 1995, 50,6% des Québécois refusent la souveraineté du Québec. Depuis 20 ans, l’adhésion au projet a connu des cycles. Selon un récent sondage, 40% des gens cocheraient «Oui» à la question. L’arrivée de Pierre-Karl Péladeau marque-t-elle le début d’un nouveau cycle? Certains péquistes le croient, mais cette volonté de constituer le Québec n’est pas l’affaire d’une personne ou d’un parti, c’est celle de tout un peuple.

Les mots pour le dire
Parmi les concepts qui définissent le phénomène, celui de «souveraineté» a la cote. Le terme «indépendance» est surtout associé au mouvement de décolonisation et le mot «séparatisme» ne caractérise qu’une modalité du projet: l’acte ponctuel de sécession. En 1980, les citoyens ont écarté à 59,6% la proposition de négocier la souveraineté-association. Cette proposition semblait timide, d’autant que le gouvernement fédéral excluait d’emblée toute négociation, mais cette première tentative était de l’ordre du sensible. Les troupes de René Lévesque n’avaient pas les réponses à toutes les questions sur les conséquences de la sécession. Pour le référendum de 1995, planifié depuis 1988 par Jacques Parizeau, jamais le vent n’aura été aussi favorable, mais les irrégularités dans le camp du «Non» ont été légion, si bien que certains parlent d’un référendum «volé».

L’évolution de l’idée
La souveraineté est le droit exclusif d’exercer son autorité politique sur un groupe de personnes. Les Québécois forment un peuple. Considérant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, il est légitime de se prononcer sur cette question. La viabilité économique du projet est devenue prépondérante en raison de l’intégration économique mondiale, mais les arguments n’ont pas changé depuis 20 ans: être responsable de soi-même, considérant ses valeurs et ses intérêts; disposer des instruments pour préserver la langue française et la culture québécoise; assurer le développement et le mieux-être de sa population. L’option fédéraliste est aussi légitime, mais elle correspond au statu quo, car toutes les tentatives de réforme ont échoué. Là où la donne change, c’est sur le plan générationnel: les 18-24 ans ne sont plus souverainistes que dans une proportion de 29%. Ils ne sont pas fédéralistes pour autant, ils sont plutôt ailleurs sur le plan politique. «La souveraineté n’est ni à droite, ni à gauche», martèle PKP. Il est vrai que l’idée se développe grâce à la conjonction du nationalisme traditionnel (conservatisme, survivance) et du nationalisme moderne (progressisme, émancipation). Les élections de 1966 ont été les premières où se sont présentés des partis indépendantistes, un à droite et l’autre à gauche. Le Parti québécois (PQ) a ensuite formé une coalition autour de l’idée de faire du Québec un pays. Toutefois, depuis 1996, les progressistes s’en sont dissociés, considérant l’adhésion du PQ à la doxa néolibérale, et ont fondé Québec solidaire en 2006. Déçus de la valse-hésitation du PQ sur la question de la souveraineté, des nationalistes ont créé Option nationale en 2011. Or, la contribution de ces nationalistes, des progressistes et des jeunes est essentielle à la constitution du pays.

Constituer le pays
Le projet ne peut être apolitique puisque des choix fondamentaux doivent être faits pour constituer le pays. Il sera inspiré par le républicanisme (le peuple est au cœur du modèle; le libéralisme implique plutôt que l’individu soit la figure fondamentale): promotion de l’intérêt général qui exige le contrôle par le peuple de ses institutions et de ses ressources, préoccupation face aux inégalités sociales, laïcité et citoyenneté participative. Comme la création d’une assemblée constituante populaire est au programme des trois partis souverainistes, pourquoi ne pas proposer une plateforme commune sur cette question? Cette instance transitoire doit écrire le projet de constitution, la loi fondamentale du pays, une manière de mobiliser les jeunes autour d’un projet de société conforme à leurs aspirations. D’autres choix doivent aussi être faits avant de proposer le référendum : modes de scrutin, instances créées, types de gouvernance privilégiés. Cette entreprise inclusive exige de créer des ponts plutôt que d’attiser la lutte d’un empire (économique, médiatique, politique) contre un autre. Le projet exige aussi que les partis souverainistes reconnaissent qu’ils ne disposent plus du monopole politique sur cette option et qu’ils acceptent de collaborer, voire de s’entendre sur certains choix stratégiques et politiques.

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