La politique de la peur

Article paru dans Le Mouton noir de mai-juin 2016

Human Rights Watch, une organisation internationale de défense des droits humains, a produit en 2016 un rapport au titre explicite : Comment la politique de la peur et la répression contre la société civile compromettent les droits humains. La peur est le grand vecteur des évolutions récentes en matière de politique, mais c’est depuis toujours que les gouvernants exercent la politique de la peur.

D’hier à aujourd’hui
Une politique est un plan d’action qui vise à mettre de l’ordre dans un secteur de la société et à régler des problèmes sectoriels, par exemple en matière de santé ou d’éducation. Les politiques proposent des orientations assorties d’actions ciblées. Ces orientations sont généralement vertueuses, mais sous cette vertu se dissimulent parfois des intentions moins nobles. Le terme agenda caché, calque de l’anglaishidden agenda, désigne un programme d’action qui doit rester secret, ou à tout le moins discret. L’analyse des politiques québécoises de différents secteurs montre par exemple une convergence vers une même vision du monde traduite dans un ouvrage qui constitue, selon plusieurs observateurs, la bible de Philippe Couillard : The Fourth Revolution – The Global Race to Reinvent the State (2014). L’ouvrage prétend la fin de l’État-nation et prône une mondialisation économique. Les « maîtres du monde » ont d’ailleurs promu ces idées au Forum mondial de Davos en janvier 2016. Ils rendent coupables de tous les maux l’État-providence et les programmes sociaux. Cette 4e révolution constitue le programme secret du gouvernement Couillard.

Il n’existe pas sur les tablettes de quelque ministère une politique de la peur, mais elle est inscrite en filigrane du pouvoir, qu’il soit autoritaire ou démocratique. C’est le moyen le plus efficace pour parvenir à ses fins politiques. La peur s’est imposée à travers le temps. C’est par peur d’être battu, emprisonné ou tué que le paysan payait son tribut à l’État. C’est par peur de transgresser sa religion que le sujet obéissait servilement à un clergé ou à un monarque parasitaires. Dans ses déclinaisons contemporaines inscrites dans le cadre démocratique, on retrouve ces phénomènes : le péril jaune, soit la peur que les Asiatiques surpassent les Occidentaux et gouvernent le monde; la menace communiste, avec la loi du cadenas de Maurice Duplessis, le maccarthysme aux États-Unis, aussi connu sous le nom de Peur rouge(Red Scare), curieusement associée à la Peur violette (Lavender Scare) puisque cette chasse aux sorcières s’est étendue aux homosexuels; l’Empire du mal de Ronald Reagan pour désigner une Union soviétique qu’il faut craindre, mais surtout haïr puisque le mal est haïssable; la rhétorique de l’Axe du mal de George W. Bush, slogan néoconservateur servant à justifier sa politique étrangère agressive et sa politique intérieure intrusive; puis le choc des civilisations, fondé sur l’idéologie que ce ne sont plus les divergences politiques qui divisent le monde, mais les clivages civilisationnels alors que le substrat religieux (la religion musulmane principalement) occupe une place centrale et déterminante dans la fabrication de la peur.

Ici et maintenant
Cette politique de la peur est souvent fabriquée sans lien avec quelque menace ou risque réels. Cela dit, il existe un lot de raisons légitimes d’avoir peur. Parce qu’il avait peur, notre ancêtre préhistorique s’est sauvé du prédateur et il a couru jusqu’ici et maintenant, un espace-temps où « il n’a jamais été aussi bon d’être en vie ». C’est la thèse de Dan Gardner dans son ouvrage La science et les politiques de la peur(2009) qui explique que l’Histoire est une illusion d’optique : « le passé paraît toujours plus certain qu’il ne l’était, et c’est ce qui donne l’impression que l’avenir est plus incertain, et donc plus effrayant que jamais ». La source de cette illusion, les psychologues l’appellent le biais a posteriori. En outre, notre culture populaire distille la peur à profusion. « La vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes » (selon l’expression de Paul Ricoeur) ne produit pas de bons scénarios de films. En revanche, la dystopie (le contraire de l’utopie, soit un monde déshumanisé) nourrit l’imaginaire collectif à la télévision, au cinéma, dans les jeux vidéo et dans la littérature : mondes post-apocalyptiques, morts vivants et guerres sans fin entre des Empires barbares.

Ici et maintenant, l’élection québécoise de 2014 témoigne concrètement de l’utilisation de la politique de la peur alors que la possibilité d’un référendum sur la souveraineté était brandie comme un épouvantail. Philippe Couillard aurait pu dire : « Certes, nous gouvernerons pour servir nos intérêts et ceux du 1 %, nous détruirons les programmes sociaux et désinvestirons en éducation, notre comportement éthique sera discutable, mais jamais nous ne permettrons que les Québécois se prononcent démocratiquement sur leur avenir constitutionnel ! » Indignons-nous, comme disait Stéphane Hessel. Osons espérer et agir plutôt que craindre et subir.

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