L'île de Luna

Edgar Morin (2017), L'île de Luna, Paris, Actes Sud, 180 p.

J'ai lu (presque) tout Edgar Morin, ce qui est en soi un exploit, considérant la richesse et la complexité de l'oeuvre. Je ne pouvais passer outre son seul ouvrage de fiction, un roman écrit il y a 70 ans et resté depuis dans un tiroir. Au moment où Morin travaille sur L'Homme et la mort (1951), une anthropologie de la mort, il ose un roman largement autobiographique racontant l'histoire d'un kid de 9 ans, Albert Mercier, qui vit (ou plutôt refuse de vivre) le deuil de sa mère Luna. Cette mort lui est révélée à travers les mensonges ("elle est partie en cure à Vittel") et les non-dits (on évite de prononcer les mots "morts" et "funérailles", mais on exige de l'enfant le port du brassard noir et une visite au cimetière). La toile d'Arnold Böcklin, L'île des morts (1880), a valeur de symbole dans ce roman.

À travers ses journaux intimes et ses ouvrages qui inscrivent le sujet Morin dans son observation sociologique, l'épisode de la mort de sa mère est un événement marquant qui a contribué à forger l'Homme Morin, mais aussi son oeuvre. Luna sa mère, mais aussi Vidal son père, évoqué dans Vidal et les siens (1989). Le type aura 97 ans en juillet, il est toujours présent dans l'espace public, grâce à des livres inédits et à ses tweets (@edgarmorinparis). Il nous souhaite ainsi la bonne année 2018: "Je vous souhaite ce que vous souhaitez". Quelques mots qui traduisent merveilleusement bien la pensée morinienne inspirée de ce qu'il appelle la dialogique. Une autre de ses phrases que j'aime bien: "On a tous les âges de sa vie". À mon avis, un des derniers géants de la philosophie et de la sociologie encore vivants.

Commentaires

Anonyme a dit…
Contrairement à ce qu'on lit partout, ce n'est pas le premier roman de Morin, qui a publié en 1947 "Une cornerie" - qu'il préfère oublier... à juste raison !