Des politiques avec des zones aveugles...

Colloque PÉRISCOPE: gagnons la cause de la participation à l’école… par décisions partagées!

mardi le 5 mai 2020, colloque sur ZOOM

Notes pour intervention
Des politiques avec des zones aveugles…
Jean Bernatchez, Université du Québec à Rimouski
La notion de praxis invite les acteurs à appliquer leurs connaissances à leur pratique. Ainsi, l’enseignante qui développe des règles de classe afin d’en assurer la gestion se sert de ses connaissances tacites et explicites. De même, les politiques que formulent les gestionnaires de l’éducation sont l’expression de leurs propres connaissances tout comme l’expression d’un effort consensuel. Une politique, c’est à la fois un programme d’action, mais c’est aussi une «vision du monde» produite par les acteurs et qui est traduite dans l’action. Une politique, ce sont des idées en action.
Selon la définition du politologue Vincent Lemieux, une politique «est faite d’activités orientées vers la solution de problèmes publics dans l’environnement et ce par des acteurs dont les relations sont structurées, le tout évoluant dans le temps». Lemieux propose là une définition inspirée des cinq concepts centraux de la systémique sociale: activités, acteurs, environnements, finalités et évolution dans le temps. Par exemple, si on veut analyser le système scolaire québécois, on peut s’intéresser à chacune de ces cinq dimensions, de manière complémentaire afin de saisir les liens et les interactions entre chacune de ces dimensions.
(1) Il y a les activités de gestion et les activités d’enseignement-apprentissage, principalement. (2) Des acteurs sont concernés, et ils peuvent être associés à différentes catégories, considérant leurs rôles ou encore leurs intérêts. (3) Des environnements conditionnent l’évolution du système: le territoire, mais aussi les valeurs, les pratiques et les traditions qui caractérisent ce territoire. (4) Les finalités du système doivent être prises en compte, et dans le cas qui nous intéresse, il s’agit d’instruire, de socialiser et de qualifier tous les élèves. Et (5), l’histoire de ce système, son évolution dans le temps, est déterminante. Il y a un concept qui sert à marquer l’importance de la dimension historique dans l’analyse des politiques institutionnelles: il s’agit de la dépendance au sentierune théorie selon laquelle les décisions passées influent sur les décisions futures.
Une politique, c’est aussi un espace au sein duquel les acteurs «vont construire et exprimer un rapport au monde qui renvoie à la manière dont ils perçoivent le réel, leur place dans le monde et ce que le monde devrait être». Avec Lemieux et la gouvernétique, on s’intéresse à une politique comme programme d’action. Avec cette autre définition de ce qu’est une politique, on s’intéresse à la dimension des idées. Cette approche est proposée par les artisans de l’analyse cognitive et normative des politiques, qui étudient les grandes idées qui conditionnent les politiques.
Ces idées s’inscrivent souvent dans le contexte d’un paradigme. Parmi les paradigmes les plus structurants du monde scolaire actuellement, on peut penser au paradigme de l’enseignement qui est concurrent du paradigme de l’apprentissage. Sur le plan de la gestion, le mode d’administration de type bureaucratique est remplacé par la nouvelle gestion publique dont l’une des composantes est la gestion axée sur les résultats. Les directions d’établissements scolaires s’inspirent maintenant du paradigme transformationnel (qui consiste à faire des choses vraiment utiles, en fonction d’un certain nombre d’objectifs préétablis) plutôt que de s’inspirer comme auparavant du paradigme transactionnel (qui consistait à bien faire les choses prescrites). Il s’agit alors d’exercer un leadership scolaire partagé.
L’analyse des politiques de l’éducation est un camp d’études très riche puisque l’éducation est un objet éminemment complexe. Est complexe ce qui est multiple et incertain, pour retenir ici la définition opérationnelle que donne le sociologue Edgar Morin de ce qu’est la complexité.
La complexité se traduit d’abord de façon quantitative, avec un nombre toujours plus grand d’interactions entre une multitude d’unités singulières. Il est possible d’identifier ce qui, dans l’école, est plus multiple qu’auparavant (donc plus complexe): un plus grand nombre d’élèves avec des besoins particuliers, des filières de formation plus variées et mieux adaptées aux besoins individuels de chaque élève (sport-études, programmes internationaux et enrichis), des classes plus diversifiées sur les plans culturel, religieux et ethnique, une plus grande variété de canaux de communication avec les agents extérieurs de l’école, plus de comptes à rendre à un plus grand nombre d’acteurs selon des modalités toujours plus diverses.
La complexité coïncide aussi avec l’incertitude, renforcée par l’accélération du temps social. La nouveauté et l’innovation sont la clé de la prospérité des sociétés. Sur le plan individuel, l’accélération du temps implique de devoir répondre rapidement aux demandes. Les attentes vont dans ce sens et les nouveaux outils technologiques incitent à agir ainsi. L’incertitude est intensifiée par le fait que cette urgence implique de devoir agir sans réfléchir longuement aux conséquences, et sans non plus disposer de toute l’information nécessaire à une prise de décision éclairée. L’incertitude se caractérise aussi au travers les "événements de rupture" que sont les crises, notamment la crise sanitaire actuelle qui commande de prendre des décisions et de poser des actions dans l’urgence.
Donc, est complexe ce qui est multiple et incertain. C’est ce qui explique les nombreuses zones aveugles avec lesquelles doivent composer les acteurs scolaires.

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